Inventeur discret, ce scientifique prolifique a notamment contribué à la miniaturisation des téléphones et des caméras. De son village sans électricité à l’école d’intelligence artificielle qu’il a fondée à Alger, itinéraire d’un enfant du Sud devenu un symbole de la réussite des « cerveaux exportés ».

Belgacem Haba, à l’université de Khenchela. © Montage JA; DR
Dans les légendes urbaines algériennes, son nom circule comme une incantation. Belgacem Haba, « l’homme aux mille brevets », trône au sommet du panthéon des « cerveaux exportés », ces enfants du pays partis briller sous d’autres cieux. Mais avant d’avoir amassé plus de 1 600 brevets, déposés à travers le monde, Haba est d’abord l’enfant d’un tout petit village d’Algérie, El M’Ghair, né en 1957 dans une famille si modeste que l’électricité n’était qu’un rêve lointain.
« On vivait l’euphorie de l’indépendance. On nous disait : travaille, réussis, fais quelque chose pour le pays », raconte-t-il dans une interview réalisée par la chaîne YouTube Association Odyssée Céleste, en juillet 2021 (il n’a pas répondu aux sollicitations de Jeune Afrique). Bon en maths, médiocre ailleurs, il gravit les échelons d’un système éducatif encore en construction : école primaire au village, lycée Émir-Abdelkader à Touggourt – le seul dans la région –, puis mathématiques à Bab-Ezzouar, à Alger.
« Si on miniaturise le téléphone, on en vendra des millions »
Une bourse de l’État lui permet de poursuivre ses études aux États-Unis, sans qu’il parle un mot d’anglais. Il atterrit à Stanford, où il décroche successivement un diplôme en physique appliquée, un autre en science des matériaux et un doctorat en énergie solaire. Son parcours ressemble à un long va-et-vient entre ambitions personnelles et contexte national.
Après ses débuts au centre de recherche d’IBM, où il travaille sur les applications des rayons lasers en microélectronique, il retourne enseigner à l’université de Biskra en 1990. Mais la décennie noire s’installe, la violence aussi. Il refait ses valises, cette fois pour le Japon, rejoint les laboratoires NEC, et se plonge pendant six ans dans la microélectronique et les applications lasers.
En 1996, Belgacem Haba rejoint Xperi (alors Tessera), aux États-Unis. Son objectif : réduire la taille des téléphones portables. À l’époque, se souvient-il, le mobile est encore un « engin de 3 kilos, comme celui qu’on voit dans le film Wall Street, avec Michael Douglas » : réservé à une élite, encombrant, hors de portée du grand public. « On s’est dit : si on le miniaturise, on en vendra des millions, des milliards. Pas juste quelques milliers », explique-t-il dans la même interview.
Il a initié une révolution industrielle
Avec une poignée d’ingénieurs et 30 millions de dollars d’investissement, ils développent un packaging au format même de la puce : un ajustement technique simple en apparence, mais qui ouvre la voie à une révolution industrielle. « Chaque produit électronique dans le monde a, quelque part, un bout de cette technologie. » Très vite, ses brevets se retrouvent dans les téléphones portables, les caméras miniatures, les cartes mémoires.
Il fonde ensuite sa propre start-up, SiliconPipe, qu’il revend plus tard à Samsung. Il rejoint Rambus, puis intègre les technologies de Tessera dans les puces mémoires, les caméras des téléphones, les consoles PlayStation 2 et 3. En 2013, Google lui propose un poste sur la plateforme cloud, mais il préfère décliner et retourner dans le centre de recherche où tout a commencé, fidèle à son envie d’expérimenter.
Aujourd’hui encore, il vit en Californie, loin des yachts clinquants de la tech, avec un CV où s’alignent 500 brevets déposés aux États-Unis, 1 600 dans le monde. « Un brevet, ce n’est qu’un bout de papier qui donne des droits, c’est un business, pas un prestige », affirme-t-il. Innover, selon lui, ce n’est pas réinventer la roue, mais « ajuster, améliorer, bâtir sur l’existant ».
Un antidote au fatalisme
Ses contributions sont pourtant bien réelles : les téléphones qui tiennent dans la poche, les caméras miniatures, les consoles de jeu compactes. Et depuis 2022, le Numidia Institute of Technology, une école privée qu’il a fondée à Alger, pour initier les nouvelles générations aux technologies de demain : intelligence artificielle, cybersécurité, systèmes autonomes, cloud. Un projet né d’une volonté de transmettre plus que de bâtir un empire. Mais au-delà des inventions, Belgacem Haba incarne surtout un récit : celui d’un enfant du Sud devenu un chercheur reconnu à l’international, un symbole brandi par un pays qui transforme ses expatriés en trophées.
Comme l’écrit Ismail Zanoune, un blogueur abrité par le site d’information Mediapart, « dans les ruelles d’Adrar (Sud algérien), pas une ampoule ne s’allume grâce à lui. Les brevets s’empilent, là-bas dans des bureaux climatisés de Californie, tandis qu’Alger tousse sous le froid et la bureaucratie ». Pour autant, dans les cafés du pays, son nom est prononcé comme une preuve que « l’Algérien peut », que le potentiel existe. « Si j’ai réussi, il n’y a aucune raison que les autres n’y arrivent pas », insiste « l’homme aux mille brevets ». Peut-être est-ce là sa plus grande invention : un antidote au fatalisme.
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